Le Léròl
et
Laboulanjèr

 

 

 S'IL y fallait choisir un rythme pour symboliser l’harmonieuse diversité culturelle de la Guyane, ce serait sans conteste le « Léròl ».


Une origine lointaine et diverse

Le mot « Léròl » viendrait de l’expression « les rôles », qui ne sont autres que les figures de la danse du quadrille, danse d’origine anglaise, apparue au 16ème siècle, connue alors sous le nom de « contredanse » (de l’anglais country danse) dans laquelle les danseurs se positionnent sur deux lignes en vis-à-vis, ce qui va s’en rappeler la danse du Léròl . La contredanse a été introduite en France à la cour de Louis XIV par un maître à danser anglais et la contredanse française a donné naissance à une forme simplifiée et standardisée : le quadrille.

Le quadrille français, et le quadrille des lanciers, sont des danses à quatre couples. C’est un assemblage de plusieurs figures de contredanses, en vogue à la fin du XVIIIème et au début du XIXème siècle. Ces figures sont aussi appelées des « rôles ». Sous le Premier Empire (le Premier Empire est le régime instauré en France par Napoléon Bonaparte, de 1804 à 1814) une des versions du quadrille portait le nom de « la Boulangère », ‘peut-être parce que la danse brassait les couples comme la boulangère brassait la pâte à pain.’

« Laboulanjèr » à l'Oyapock, pourquoi ?

Laboulanjèr GuyaneLaboulanjèr du français « La Boulangère », est le nom donné au Léròl, dans la vallée de l’Oyapock.

Laboulanjèr est donc un Léròl. Les différences tiennent aux figures dansées et à la vitesse du rythme. Il s’agit en réalité d’un Léròl plus rapide, qui a certaines figures qui lui sont propres. Les chants de Laboulanjèr ont eux aussi une particularité, ils ont des couplets et des refrains moins longs que ceux du Léròl, ce qui contribue aussi à accélérer le rythme.

Pourquoi le terme Laboulanjèr ?
Les anciens, en Guyane, disent que le Léròl devenait Laboulanjèr à l’heure où la boulangère, ou le boulanger, faisait cuire le pain, très tôt le matin. Il est une variante du Léròl, et est un des rythmes emblématiques de la vallée de l’Oyapock. Mais on le danse partout ailleurs en Guyane.


D'autres sources étymologiques

Pour revenir au nom « Léròl », il a des similitudes avec d’autres rythmes au tambour joués dans d’autres régions de la Caraïbe. Il existe le Léró de Puerto-Rico, le Léro de Saint-Domingue (République Dominicaine) , le Lewa d'Haïti et le Léwòz (anciennement orthographié « Léròz ») de la Guadeloupe. Ne sont-ce que de simples ressemblances, ou le nom « Léròl » aurait-il une autre provenance, remontant celle-là, à la nuit des temps ?


Le Léròl, expression du « créole» ?

Comme dit plus haut, le Léròl est à la fois un rythme et une danse, qui symbolisent le mieux la variété culturelle guyanaise. C’est le rythme « créole » par excellence. En quel sens ?

Si le mot « créole » est aussi synonyme de mixité (impliquant toujours un apport négroïde), le Léròl symbolise bien le mélange des trois culturels de base guyanaise, à savoir : amérindienne, française et afro-guyanaise.


Un apport amérindien indéniable

Sampula AwalaNuit Sampula AwalaAvant tout, la base rythmique du Léròl n’est autre que l’un des rythmes joués par les Amérindiens Kali’na sur leurs tambours Sanpula (ou Sambula). [Il s’agit d’un grand tambour à deux membranes muni d’une corde de timbre sous laquelle est coincée une fine baguette végétale (une baguette en bois), et que l’on frappe avec une petite mailloche.]


Hochet
Mais l’élément principal, indispensable pour jouer le Léròl est le « chacha léròl », hochet constitué d’une petite calebasse que l’on a évidé, dans laquelle on a introduit des graines particulières, des billes de plomb ou de petits cailloux. Il est muni d’un manche en bois. Les aïeux l’appelaient « kiakia » (cf. « Atipa » d’Alfred Parépou, chapitre 6). La culture créole a hérité de cet instrument des ancêtres Amérindiens qui l’appellent « Malaka ».

Instiman LérolChez les Kali’na, il existe deux sortes de hochet de danse, le Malaka et le Kalawachi, qui vont donner la cadence au tambour Sanpula. Le chacha Léròl a la même fonction chez les Créoles, il est manipulé par la chanteuse principale qui, là aussi, va donner la cadence aux tambours foulé.

[La personne qui est chargée de veiller à la bonne exécution des figures s’appelle « Larenn » en Créole, ‘la Reine’, c’est le plus souvent la chanteuse principale, et s’il s’agit d’un homme, d’un chanteur, il portera le nom de « Lirwè ou lerwa », ‘le Roi’.]

La position du tambour rappelle aussi l’origine amérindienne du rythme du Léròl.
Les tambours foulé doivent être maintenus posés sur les cuisses des tanbouyen, ils sont en position latérale, tout comme les tambours sanpula. Toutes les ouvertures des tambours foulé (« djòl tanbou ya » = ‘les gueules des tambours’) devraient être tournées vers le soliste qui se trouve au milieu de ceux-ci. Seul le soliste avec son tambour « koupé ou dékoupé », le gardera au sol, coincé entre ses cuisses.

 

Un rythme aux règles strictes

Le jeu du soliste, dans le Léròl, est l’apport des Créoles, d’origine africaine, à ce rythme, lui d’origine amérindienne, comme nous venons de le voir. Auxence Contout dans son ouvrage, Le parler guyanais, parle du tanbou koupé comme du « tambour fou ». Mais a contrario, le koupé doit être ‘discipliné’, il se doit de respecter le cadence impulsée par le chacha, et suivie par les tambours foulé, sans quoi « il peut introduire la confusion dans le Léròl. »

C’est même plus que cela !

Le « tanbou koupé » a une importance primordiale. Le soliste va ‘ dire ’ aux danseurs quand changer de pas. Par exemple juste avant les refrains, il va effectuer un roulement prolongé, grave, pour avertir les danseurs, pour les préparer, puis il va les faire « glisé »  (glisser) ou « kouri Léròl », il va leur faire changer de place avec leurs partenaires, durant les refrains, cette fois-ci avec un roulé aigu. « Pannan kouplé-ya, tanbou koupé-a ké fè yé maché Léròl-a », ‘ Durant les couplets, le tambour koupé va leur faire marcher le Léròl ’. Par des combinaisons de coups secs, graves et aigus, il va faire ses phrases musicales sur lesquelles les danseurs et les danseuses vont effectuer les pas de base.

Foulé Léròl

Le Léròl a une  spécificité : il a une introduction qui va ouvrir la partie centrale du morceau.
L’introduction est généralement, la suivante…

Légende :
◊ = chacha
● = foulé, son grave sur le tambour
○ = foulé, son aigu sur le tambour
Une mesure        

 

Il existe une variante dont une mesure se définit comme suit :

… puis, après un certains nombre de mesures, qui pourraient se répéter à volonté, mais correspondent le plus souvent à la longueur d’un refrain, entamé par la chanteuse principale, le rythme principal débute, toujours guidé par la pulsation du chacha.

Le rythme principal du Léròl:

(◊ = chacha ; ● = foulé, son grave sur le tambour)

 

La frappe du Foulé est étouffée

Quand on foule le Léròl, il ne suffit pas de faire sortir des sons graves de son tambour, il faut étouffer les vibrations de la membrane avec le bout des doigts, un peu après la frappe. Les sons doivent plus ressembler à des « boum-woup » qu’à de simples « boum » !

 

Cela nous amène donc à parler de l’apport des Européens dans le Léròl. Il s’agit de la danse.

La danse du Léròl, un quadrille

Comme nous l’avons vu plus haut, le Léròl s’est inspiré du quadrille français, ou quadrille des lanciers, qui sont des danses à quatre couples. Bien entendu le Léròl a remis ces quelques figures du quadrille à ‘sa sauce bien créole’. Les danseurs sont placés sur deux rangées, cavaliers et cavalières se faisant face. Puis au rythme de la chanson, du chacha, des tambours et du soliste, ils vont évoluer par groupes de quatre couples dans des chorégraphies précises et compliquées.

Les figures originelles du quadrille français et du quadrille des lanciers sont :
 Quadrille français : le pantalon, l’été, la poule, la pastourelle, et le galop ou la finale, qui est à l'origine de « la boulangère ».

Quadrille-creolePour le quadrille des lanciers : les tiroirs, les lignes, les moulinets, les visites et les lanciers.

Les figures du Léròl, inspirées des figures originelles, que l’on retrouve pour certaines dans Laboulanjèr, ou Léròl de l’Oyapock, sont : le salut, la traversée, le moulinet, la chaîne, le pont, la ronde, le petit tour. Il y aussi les figures typiquement locales, la danse et la cadence sur place, le « maché Léròl », le « kouri Léròl », sans compter la prestation du cavalier entourés des autres danseurs, et les « nika » (les entrechats) effectués par les hommes. Il existe de rares variantes qui sont la danse du mouchoir (présente aussi dans le Kanmougwé) et le baiser.

A l'origine, une danse bourgeoise

Dans son ouvrage Musiques et Danses Créoles au tambour de la Guyane Française, madame Monique Blérald précise que « le Léròl était une danse réservée aux classes sociales aisées au début du siècle. Les expressions créoles sont nombreuses pour désigner ces « dansé listokratik » (danses des aristocrates), « dansé gro tchap » (danse des riches du pays). »

Toujours d’après les études menées par madame Monique Blérald, eu égard à ses origines, « le Léròl aurait été mis en place sur les plantations par les esclaves domestiques (par opposition aux esclaves des champs vivant loin du maître), cherchant à imiter les contredanses des colons. »
Seules les grosses têtes du pays dansaient le Léròl que ces mêmes aristocrates qualifiaient de « menuet guyanais ».

Monsieur Auxence Contout  appuie que : « Celles qui dansaient ce menuet s’appelaient les Tètèches. Beaucoup de tètèches étaient [pourtant] d’origine paysanne et ce lancier guyanais qui symbolisait tant le monopole des riches devait, dans l’évolution à travers les âges créoles, passer des mains des grands aux mains de la foule. »

Parépou parle du « les rôles » dans Atipa

Alfred Parépou dans son roman Atipa, qui date de 1885, au chapitre VI de Atipa ce dernier, nous relate à sa façon la popularisation du Léròl.
Arial un des amis du personnage principal, Atipa, se rend à un « convoi » (konvwé ou konvwè, en créole vrai, c’est une assemblée de « Nègres » chantant et dansant au rythme des tambours), c’est « le Roi » de cette soirée qui l’avait invité à un « les rôles ». « Lorsqu’ils arrivèrent […], les rôles battaient ferme. Il y avait quatre tambours et deux quarts. Idariz, le chef tanbougnin, coupait, les autres foulaient. La salle était remplie de jolies négresses munies de leurs " kiakia ". »

 

Qu'est-ce que le Konvwé ou Konvwè ?

Le folkloriste Michel Lohier note dans ses Mémoires qu'il existait « dans la classe de la société guyanaise des académies connues sous le nom de "convouès"  (associations bien organisées, en lutte souvent les unes contre les autres). Chaque commune possédait son académie. »

Lors de ces rassemblements les troupes étaient debout, face à face sur une estrade et se lançaient réciproquement dans la bonne humeur des chansons provocatrices sur un air de grajé, de lérôl ou autre. Cette pratique est tombée en désuétude.
Aujourd'hui les Konvwé ou Konvwè sont des soirées lors desquelles on danse et on joue, exclusivement, des rythmes traditionnels créoles au tambour. Ils durent toute la nuit, et c'est à ces occasions que l'on assiste aux fameux bals Kasékò ou aux bals Grajé. Ils sont très appréciés des Guyanais !

 

La tenue

TetecheLe Léròl est resté une danse d’apparat, majestueuse, qui « se caractérise par sa solennité et sa finesse ». Les tenues, toutes plus belles les unes que les autres, le prouvent.

Pour le Léròl, les femmes portent généralement la robe tètèche, la robe princesse, la robe longue (jeune Cayennaise avec ou sans kanmza) et la robe peignoir. Elle arbore leurs plus beaux atours, de riches bijoux en or.
Les hommes sont vêtus de leur « complet » (pantalon blanc, veste blanche, cravate noire) ou encore d’un pantalon blanc ou bleu entouré d’une ceinture de madras – le matchoukann - et d’une chemise plastronnée.

 

 

A propos du Léròl kasé

Le « Léròl kasé » est le nom donné à un certain type de phrasé qui ne se jouera que lors de « Kasékò a lopozé », c’est à dire un Kasékò relativement lent, aux couplets et aux refrains assez longs. Le Léròl kasé est un solo qui a pour base les solos du Léròl, mais il est kasé, ‘cassé, rompu’, dans le sens où, dans ce solo, les phrases d’origine ne sont pas jouées dans leur totalité, elles sont interrompues, ou jouées en partie, mais tout en gardant leur musicalité originelle.

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